Perdue dans ses souvenirs, une fois de plus. Aela vient
d’arriver dans le coin. Elle a fui son pays, elle a fui ses ennemis, elle a fui
son passé. Et pour l’instant, ce dernier est le seul à avoir réussi à la
rattraper, grâce à ces souvenirs.
Au plein cœur de l’hiver, elle chasse dans les bois, comme à
son habitude. Elle suit la sente d’un élan, apparemment fraîche, quand elle
entend des voix. Elle a cru reconnaître le ton du forgeron du petit village d’à
côté. Elle a sympathisé avec lui, mais elle est prise d’un doute. Prudente,
elle se terre sous un buisson et les regarde passer. Et elle est avisée.
-T’en fais pas, Rorik, on la trouvera la lupine ! Et
on accrochera sa peau dans l’auberge !
Bien que peu clairs, Aela a tout de suite compris la nature
des propos de l’homme. C’est elle qu’ils cherchent, et ni leurs propos, ni les
torches, ni les épées ne leur donnent un air amical. Après avoir laissé ces
trois passer, elle a préféré sortir du buisson et galoper dans la direction
opposée. Manque de bol : elle se retrouve nez à nez avec le molosse supposé
la pister, qui a préféré s’attarder pour renifler la piste de l’élan.
Elle laisse alors parler ses réflexes. Avant même qu’il ait
aboyé, elle balance un coup de poing dans le crâne du chien, qui préfère serrer
les mâchoires et reculer. Elle saisit sa chance et repart sur le côté. Juste à
temps.
Une épée fauche l’air là où elle se trouvait il y a un
instant, et les mâchoires du molosse, qui a retrouvé son aplomb, claquent dans
le vide. Elle s’est rapidement mise à courir, aussitôt suivie par la bande de
« chasseurs ».
L’ennui, c’est que le chasseur, ici … C’est elle. À peine
sortie de leur angle de vue, elle bondit sur un arbre, s’accroche à la première
branche et se cache dans le branchage. Elle sort son arc et encoche une flèche,
prête à abattre la cible la plus dangereuse …
Ils sont sous l’arbre, tournant la tête, cherchant des yeux
… Yeux que personne ne pense à relever. Une flèche encochée, elle bande son arc
et vise la meilleure cible, et détend la corde. La flèche siffle, puis se
plante avec un bruit sourd dans … la nuque du molosse.
Leur pisteur ainsi éliminé, elle saute de l’arbre et
atterrit lourdement dans la neige pendant que ses poursuivants saisissent la
situation. Elle se met alors à courir comme jamais, se retournant à peine pour
voir si elle est suivie. Chose qu’elle n’a pas besoin de faire, au vu des cris
de guerre que lancent ses assaillants.
Aela court vite, mais s’essouffle tout aussi vite. Elle
finit rapidement au petit trot, anxieuse de voir un forgeron débouler à toutes
jambes, l’épée au poing. La pente montante lui indique qu’elle a pénétré dans
la vallée. Mais c’est seulement une fois au pied du mur qu’elle se rend compte
de son erreur. Car elle est littéralement au pied d’un mur. Un mur de bien huit
mètres de haut barre la vallée, délimitant ici les terres du seigneur Ogwald.
Et à l’ouïe, elle sait qu’elle ne peut plus faire demi-tour. Lui vient alors
une idée folle. Se délestant du lapin attrapé plus tôt, elle enfile le bout de
sa botte entre deux pierres et se hisse pour glisser ses doigts dans une autre
aspérité.
Elle grimpe régulièrement, mais lentement, et entend les
hommes arriver, à quelques dizaines de mètres …
Jurant intérieurement, elle sait qu’elle n’a alors plus le
choix. Ses doigts sont gourds, elle est essoufflée, et la pierre est glissante
… À même pas un jet de pierre du sol, elle va finir lapidée contre le mur si
elle ne fait rien. Elle se résout finalement.
Elle laisse l’adrénaline lui embuer le cerveau, elle sent
l’animal en elle s’éveiller. Tenant à garder le contrôle, elle ressent la
fourrure pousser sur ses bras, sa tête s’allonger légèrement, les griffes
acérées prenant la place des ongles usés …
À présent semi-tigresse, Aela reprend sa montée en grande
cadence, ses griffes crochant aux aspérités comme si c’était des échelons. Elle
arrive finalement en haut du mur, passe les moellons et se laisse tomber de
l’autre côté. Avachie sur le chemin de ronde, elle reprend son souffle en
vérifiant qu’il n’y ait personne en faction. Jour de chance : elle est
seule sur le toit du monde.
Mais ses oreilles la ramènent vite à la réalité : elle
entend toujours les cris des villageois. Passant la tête par-dessus le rempart,
elle aperçoit le forgeron et son voisin en train de grimper le mur, eux aussi.
Le troisième étant certainement parti chercher de l’aide, la chasseresse est
heureuse qu’il n’aient pas la même capacité qu’elle.
Lui vient alors une idée. Poussant de toutes ses forces sur
le merlon, elle le sent bouger. De quelques infimes millimètres, mais bouger
quand même. Jetant un coup d’œil autour d’elle, elle finit par trouver une
perche servant à repousser les échelles. La plantant sous le merlon, Aela
commence à appuyer sur l’autre bout, espérant déplacer la pierre, mais sans
succès. Elle se résout finalement à abattre sa dernière carte. Elle laisse la
fourrure la couvrir entièrement, sa mâchoire se déformer, ses muscles se
contracter, pour adopter la forme majestueuse d’un tigre des neiges. Et lorsque
qu’elle appuie ses quelques 200 kilos sur la perche, le merlon commence à
basculer, pour ensuite glisser et chuter dans le vide, avec un chuintement à
peine audible. Bien moins audible, en tout cas, que le cri du forgeron qui en
fait une rencontre assez brutale. Son voisin ayant plus de chance, seul le
cadavre disloqué de son ami lui tombe dessus, le faisant juste chuter de
quelques mètres.
C’est ainsi qu’Aela se retrouva dans un autre pays, à
recommencer une nouvelle vie jusqu’à ce qu’on redécouvre son secret :
C’est une tigresse-garou.
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